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Ne garochez pas votre stéthoscope à la poubelle…

Dans son article du 22 avril intitulé « Immobilier : évaluez avant de vous engager », La Presse compare, sans cligner des yeux, le tarif horaire d’un courtier immobilier à celui d’un médecin de famille. Et là, c’est comme si on avait lancé une cigarette dans une station-service : ça pète dans tous les sens, mais ça éclaire pas grand-chose.

Avant de garocher votre stéthoscope dans la poubelle pour vous acheter une petite chemise ajustée et une pancarte « À vendre », prenons deux minutes pour remettre les pendules à l’heure. Parce que cette comparaison tape-à-l’œil a beau faire jaser, elle est aussi creuse qu’un condo en prévente.

L’article nous sort un beau calcul : une maison vendue 485 000$, une commission de 4%, soit 19 400$, divisée sur 37 heures de travail. Résultat? Un courtier solo ferait du 524$ de l’heure. Impressionnant? Seulement si on oublie de faire nos devoirs.

Premièrement, la double représentation est interdite au Québec. Donc dans la majorité des cas, la commission est partagée en deux. Ce qui laisse 2% par courtier, donc environ 9 700$. Déjà là, on vient de couper le buzz en deux. Et ça, c’est avant taxes, et surtout avant les dizaines de dépenses obligatoires qu’un courtier doit absorber juste pour exister.

Parce que non, ce 9 700$ n’est pas un salaire. C’est du revenu brut, et il faut soustraire: publicité, photographie professionnelle, mise en marché, frais de courtage, redevances de bannière, permis, formations obligatoires, déplacements, essence, entretien du véhicule, outils numériques, gestion de site web, etc. Résultat? Il en reste souvent pas mal moins qu’on pense.

Et pendant que La Presse se base sur 37 heures de travail par transaction, elle oublie commodément tout ce qu’il y a autour. Le courtier ne fait pas juste signer une promesse d’achat en mangeant un muffin. Il doit aussi chercher des clients, faire de la prospection, gérer des acheteurs qui veulent visiter 15 propriétés mais ne savent toujours pas s’ils veulent un sous-sol fini, assister à des formations, remplir des tonnes de paperasse et répondre à des textos à 23 h le samedi soir. Bref, un courtier travaille facilement 60 heures par semaine, soit 3 120 heures par année.

Avec un revenu annuel médian de 115 000$, ça donne un taux horaire brut de 36,86$. Et on parle bien ici de brut, avant impôts, avant dépenses, avant tout.

Et là, on ose comparer ça au métier de médecin? Ceux qui gagnent en moyenne 369 000$ par année, une sécurité d’emploi béton et un système public qui leur assure un flot constant de patients? On va se le dire : c’est pas juste une comparaison douteuse, c’est carrément risible. En fait, c’est intellectuellement malhonnête.

Un courtier, lui, n’a aucune garantie. Pas de vente? Pas de paie. Pas de maladie? Pas de pause. Pas de filet. Il est 100 % autonome, 100 % responsable, pis souvent 200 % disponible. C’est pas une job à plaindre, mais c’est loin, très loin d’être le jackpot que l’article laisse entendre.

Alors oui, il peut arriver qu’une transaction soit payante. Mais faire croire que chaque courtier roule en Tesla parce qu’il a closé un deal en 37 heures, c’est comme dire qu’un humoriste gagne 20 000$ pour une joke — sans parler des années passées à se planter sur scène.

En résumé? L’article de La Presse offre une vue très partielle et très biaisée de la réalité. Une comparaison accrocheuse, mais très mal ficelée. Plutôt que d’informer le public, elle le désinforme en beauté.

La prochaine fois qu’on veut faire passer un courtier immobilier pour un médecin avec une valise en cuir et une imprimante à billets dans son coffre, peut-être qu’on devrait commencer par comparer des choses comparables. Parce que là, c’est pas le courtier qui a besoin d’un diagnostic… c’est l’auteure de l’article.